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Burundi : L'armée en question 

Composées, en majorité, de Tutsi, les troupes gouvernementales sont-elles vraiment allées trop loin dans la répression ?

 

De notre envoyée spéciale à Bujumbura, Marie-Roger Biloa 

JEUNE AFRIQUE N° 1445 - 14 SEPTEMBRE 1988


L' armée  a - t-elle outrepassé ses  prérogatives lors de son intervention à Ntega et Marangara, les 'deux communes insurgées du Nord du pays ?
A Bujumbura, la polémique fait rage. Quelle que  soit la réalité des faits, la question est inévitable. Elle continue de  hanter les esprits, de  tous ceux - rares dans les milieux proches du pouvoir - qui considèrent que le strict respect de la légalité constitue à la fois, un rempart contre l'anarchie et  une garantie pour l'avenir. 

 

Journalistes  « intoxiqués»

Violemment mis  en cause par la presse internationnale,  le comportement de l'armée  ne suscite que des éloges de la part du gouvernement  et de l'intelligentsia tutsi. Notre confrère LE RENOUVEAU, quotidien officiel, s'illustre particulièrement dans ce domaine. Reprochant  aux journalistes étrangers, "nourris de clichés" et "intoxiqués par les ennemis de notre pays", de faire une "publicité du tonnerre aux réfugiés prétendument victime de la répression aveugle de l'armée TUTSI", il compare avantageusement le comportement des militaires burundais à celui de leurs collègues  africains. Conclusion: Les forces  burundaises  ne constituent pas « une armée de tortionnaires » car cela serait «incomparable avec la discipline ». Voilà donc l'armée absoute à l'avance, sans qu'il soit besoin de s'informer  sur l'ampleur de la répression.

La situation est pourtant complexe. S'il est désormais établi que des affrontements sanglants ont eté déclenchés par des groupes de Hutu, il est permis  de s'interroger sur le nombre des insurgés et celui des victimes.
Des universitaires étrangers travaillant depuis plusieurs années au Burundi évaluent à cinq cents ou six cents  le nombre de Tutsi vivant dans les régions concernées.  Les cinq milles morts annoncés par l'Etat, seraient donc,pour l'essentiel, des Hutu.  Etaient-ils tous des malfaiteurs ?  Considérant que l'opinion
internationale a  été « manipuléé » par des  "rebelles burundais réfugiés à l'étranger " , le gouvernement a publié une mise au point portant notamment sur la nature des opérations menées par les militaires.


Ce document de six pages est  d'une extrême virulence envers les Hutu révoltés, qu'il qualifie   de «  rebelles drogués », de  "cohortes délirantes",de « bourreaux sadiques », se livrant à des assassinats « à coup -de lances, de flèches, de gourdins, de pierres et de machettes ». Le gouvernement indique que le calme a été  rétabli au bout de « trois jours d'intervention », laquelle aurait débuté le 16 août à Ntega, au lendemain du déclenchement des maméres. Où peut en conclure que le 19 août, le danger était écarté. Or, de nombreux témoignages recueillis dans les hôpitaux et les centres de soins du Rwanda (où l'on a recencé cinquante mille réfugiés) et du Burundi semblent établir que les militaires ont procédé à des exécutions bien au-delà de cette date (voir J.A. n° 1444).


A Kiremba, hôpital situé dans la province de Ngozi, au Nord-Est, 80 % des patients ont -etc blessés par des militaires. Soit par balles, soit par baionnette. Le 31 août, ils étaient - cent dix dans ce cas (dont deux tiers de femmes, d'enfants et de vieillards). Tous Hutu. Walter Schmidt, le médecin généraliste, devenu chirurgien par nécessité, qui dirige l'hôpitàl depuis octobre 1987, a consigné, dès le début des troubles, tous les événements dont il a eu connaissance. 


« La plupart des blessés par balle ont été touchés dans le dos, raconte-t-il. On peut estimer que, pour un blessé qui a la force de se présenter à l'hôpital, il y a dix morts. » Selon Schmidt, un homme trapu, au visage barré d'une grosse moustache, tout a commencé le 16 août, avec l'arrivée des premiers blessés, un adulte et un enfant frappés à coup de machette à Marangara. On peut penser qu'ils étaient probablement tutsi. Le 17, les militaires sont arrivés à Kiremba. Trois ou quatre camions contenant une cinquantaine d'hommes. La commune était calme. Le même jour, ils ont procédé à des arrestations, sur la place du marché. Ces opérations ont fait deux morts,dont un vieillard de soixante-dix ans qui a reçu quinze coups de baionnette. Le 18 août,, le docteur Jean-Bosco, Daradangwe, médecin-major (militaire), lui a signifié que l'hôpital était réquisitionné et placé sous le contrôle de l'armée.


A l'hôpital, la tension monte


Selon son directeur, l'hôpital de Kiremba n'était pas un modèle d'harmonie ethnique.  Apprenant que les Hutu étaient accusés de massacrer des Tutsi, les seize infirmiers et les vingt-huit employés hutu de l'hôpital n'osaient plus
quitter leur lieu de travail,  par crainte de représailles. Ils y étaient  encore, 
le 31 août, après ayoir offert de se laisser tuer pour que cesse la tension au sein de l'établissement...


Dans la nuit du 18 août, toujours selon les notes du Dr Schmidt, sept personnes  (hutu, bien sûr) ont été exécutées par les militaires. Parmi, elles,le menuisier de l'hôpital qui a été décapité. Le 20 août, le médecin-major Daradangwe a informé son confrère (civil) de la fin des hostilités. Prudent, le personnel hutu a refusé de quitter l'Hôpital. Ce jour-là, Schmidt a enregistré une forte augmentation du nombre des blessés (surtout des femmes et des enfants).


Le 21 au soir, toutes les collines environnantes  étaient en feu. Des témoins ont vu les militaires allumer  des incendies. Le Dr Schmidt assure que les militaires utilisaient aussi des  machettes. Une femme rencontrée au centre hospitalier  universitaire de Butare, raconte qu'un soldat lui a emprunté la machette avec laquelle il lui a tranché le bras.

La visite de l'hôpital de Kiremba est une épreuve. Un bébé d'un an a eu le bras gauche amputé jusqu' à l'épaule: il était la cible de balles.  Sa mère est morte. Un paysan de trente-deux ans a reçu des coups de baïonnette sur sa nuque. Son
crâne ouvert, purulent. Une balle a traversé la mâchoire inférieure d'un homme de vingt-cinq ans.

 

 

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