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Burundi: Le voix étranglée des Hutus

«Radio Démocratie» est-elle un «media de la haine»,
 comme le prétendent ceux qui veulent l'étouffer?

Numéro 290 -Africa International-
 Décembre l Janvier 1996


 

Pendant que le massacre des Hutus du Burundi se déroule dans l'indifférence d'une communauté internationale, qui ne tire toujours pas les leçons du drame rwandais, le Président Sylvestre Ntibantunganya cherche désespérément 50.000 dollars pour brouiller une radio hutue accusée de prêcher la haine. Le monde à l'envers... Kukoye Mushana 

 

 

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La scène se passe au mois de juin dernier à Uvira, au sud de la région de Kivu au Zaïre proche de la frontière zaïro-burundaise, dans le quartier Mulongwe. Une délégation militaire zaïroise accueille une quinzaine d'officiers venus du Burundi et spécialisés dans la lutte anti-guérilla. Raison de la visite ?

Sous pression de la communauté internationale, le président zaïrois Mobutu Sese Seko a autorisé les militaires de Bujumbura à venir «fouiller» son pays pour y trouver le centre d'émission d'une radio censée être celle des extrémistes Hutus: «Radio Rutomorangingo» ( la radio qui fait la lumière) et dont l'émetteur serait implanté sur la chaîne montagneuse d'Utimba. Galonnés zaïrois et burundais forment un convoi qui démarre en écoutant dans leurs voitures le programme de ladite radio qui s'appelle en réalité : « Radio démocratie». En chemin, ils reçoivent des renforts d'une cinquantaine d'autres militaires zaïrois, bien armés. Leur objectif : rechercher l'émetteur de «Radio démocratie » qu'on
aurait identifié, camouflé dans une maison du coin. Arrivés devant la demeure suspecte, non loin d'un camp militaire zaïrois, les militaires défoncent la porte. On imagine à l'intérieur, les fidèles du Front de défense de la démocratie,
branche militaire du Conseil national de défense de la démocratie (CNDD), avec peut-être au micro, leur chef Léonard Nyangoma. Les occupants sont arrêtés sans ménagement et ligotés, ils ne résistent point, et pour cause, les militaires
n'ont pas frappé à la bonne adresse. Il s'agit de paisibles réfugiés écoutant la radio. Pendant ce temps «Radio démocratie» émet toujours, on fouille les chambres et découvre la «bête sauvage et tapageuse», un vulgaire récepteur, et pas d'émetteur. Fiasco total. Quelle est donc cette radio «diabolique» qui empêche les militaires burundais de dormir ?

Sylvestre Ntinbatunganya: 50 000 $ 
pour brouiller la RADIO

 


Depuis l'assassinat du président Melchior Ndadaye en octobre 1993, cinq mois après son élection au suffrage universel, et la mise au pas du Frodebu, le Front démocratique burundais (son parti) par la prise en otage du président Sylvestre Ntinbatunganya par les putschistes qui lui ont imposé une «Convention de gouvernement» (qui l'oblige à céder la majeure partie du pouvoir à l'opposition minoritaire tutsie), un homme a décidé de prendre le maquis pour refuser le nouvel ordre des extrêmistes tutsis : Léonard Nyangoma. Ancien ministre de l'Intérieur et de la Sécurité publique sous Melchior Ndadaye et secrétaire national du Frodebu chargé du recrutement. Léonard Nyangoma, le leader du CNDD, a mis en place un Front de défense de la démocratie (FDD) pour répondre aux provocations sanglantes des milices tutsies encouragées par l'ex-président Jean Baptiste Bagaza. Et tolérées par le chef d'Etat-major de l'armée burundaise,Twarigayezu, un Tutsi rwandais naturalisé. C'est dans ce contexte que le CNDD, qui contrôle aujourd'hui de une «zone noire» du pays dans les régions de Citoke, Muramvya et Bujumbura rural, est venu à mettre en place une radio. «avoir accès aux radios, nationales et internationales qui, dans une incroyable cécité, due en partie à l'ignorance) à un parti pris irrationnel, ont pris fait et cause pour les Tutsis. L'ex-ministre de la Coopération, Bernard Débré, n'a- t-il pas fait le monde entier, en résumant le drame Burundais par lutte entre une armée et des extrémistes
Hutus et Tutsis" ? Quand on que l'armée monoethnique règne sur le pays depuis l'indépendance, après avoir tué chef d'État élu, procède à la on ethnique de la capitale, main la main avec les milices de telles positions laissent pantois.

Par une technique de mobilité de la guérilla, «Radio démocratie » émet deux fois -jour, en Kirundi, Kiswahili Français (de 6 heures à 7 heures du matin et de 18 heures à 19 heures) et "voyage" régulièrement sur plusieurs collines. Animée par une équipe de neuf journalistes bénévoles, dont les têtes sont ses à prix dans les casernes de Bujumbura. Dès six heures du matin, étudiants, paysans, ouvriers, fonctionnaires, et commerçants burundais colt discrètement l'oreille à la «radio maudite»; même des militaires commettent le péché, en cachette, les uns amusés autres angoissés. Aujourd'hui radio démocratie» couvre 5/5 le Zaïre, l'Ouganda et une partie de la Tanzanie, et 2/5 la Tanzanie. Avec ses diverses rubriques : infos quotidiennes, éducation civique (Justice, droit de l'homme), vérités sur les massacres de Bujumbura. Inquiète de ce succès, l'are presse le président Sylvestre Ntibatunganya de faire taire la radio. -s de son dernier passage à Paris, celui sollicité de l'Unesco, la somme de 50 000 dollars à cet effet, en dépit d'un ord international de l'Union internationale des télécommunications interdit ce genre de pratiques. Après plusieurs tentatives d'assauts militaires ayant entraîné des morts au cours d'embuscades tendues par le CNDD, Sylvestre Ntibatunganya est passé à la diabolisation de la radio auprès du président zaïrois Mobutu Sese Seko. Lors du cinquantième anniversaire de l'Onu à New York, il a encore accusé cette radio de «haine ethnique, la condamnant pour intolérance et apologie de la violence». Alors que pendant ce temps à Bujumbura, l'ordre règne : la Radio télévision nationale du Burundi sévit en toute impunité, épurée de ses éléments hutus ; l'opposition n'y a pas accès. On trie les morts, refusant de dénoncer les violences lorsqu'elles touchent, comme c'est le cas la plupart du temps, les Hutus estampillés globalement «extrémistes», avec une moyenne de 100 morts par jour en 1995. Le diable, c'est toujours le CNDD. C'est «Radio démocratie» qui a révélé les crimes de Gasarara le 14 novembre dernier- 430 morts - les médias d'Etat ayant observé là ce sujet un blackout total. Le vice-président de l'Assemblée nationale, Stan Kaduga Claver, d'ethnie tutsi, est donc courageusement monté au créneau pour défendre la «Radio démocratie » contre les attaques d'extrémisme et de haine ethnique. « Le Burundi est comme ça, déclare un journaliste de «Témoin» (dont les locaux ont été détruits, comme la plupart des journaux appartenant à des Hutus); on ne croit jamais un Tutsi proche des Hutus, regardez Léonce Ndarubagiye et Christian Sendegeya qui sont au CNDD. Mais quand un Hutu se met au service des Tutsis, il devient "sage et modéré" ». Un autre confrère de «L'éclaireur», fait remarquer que tous les correspondants des médias internationaux à Bujumbura (Afp-agence sonore, RFI, BBC, Deutsche Welle, Reuter, Canal Afrique) sont des Tutsis proches de l'armée. Deux d'entre eux sont même des épouses de militaires ! Ceux qui sortent du rang s'exposent à des périls : Celsius Nsengiyumva, correspondant de la radio panafricaine Africa no 1, a dû s'exiler en Suisse, après avoir reçu des menaces de mort; son remplaçant, Pamphile Simbizi, n'en n'a pas eu l'occasion. Il a été tué en juin 1995. Pourtant, sur la scène internationale, c'est, pour ainsi dire, le silence radio. 

Les radios internationales sont fermées au CNDD qui ne peut répondre aux multiples attaques des porte-paroles de l'armée burundaise. Les rares fois où on leur donne la parole, c'est toujours en différé, on a ensuite le temps de «monter» les éléments ou les découper. Pendant ce temps, les Hutus sont diabolisés, "extremisés" au rang de "génocideurs". La communauté internationale et certaines organisations de défense des droits de l'homme aiment le raccourci, quand il s'agit du Burundi et quand la victime est Hutu. On a vite baptisé cette radio, «Radio de la mort» et dans cette ambiance de relâchement, il ne s'est trouvé personne pour fustiger «Radio Muhabura», avec laquelle, des mois durant, le Front patriotique rwandais a arrosé le Rwanda avant de l'envahir en 1993. Chaque période d'orthodoxie ayant ses anges et démons, son bourreau et sa victime, on diabolise au besoin l'adversaire Hutu pour ne pas avoir à répondre à ses questions. Mais combien de Timisoara faudra-t-il à la communauté internationale pour qu'elle comprenne enfin qu'au Burundi aussi, les Hutus sont privés de parole, qu'ils meurent, depuis plusieurs décennies, victimes d'une caste minoritaire.

 

 

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