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La grande prudence de la diplomacie sud-africaine


Frédéric Chambon,
correspondance JOHANNESBURG
 

Le Monde 6-11-1996


L'Afrique du Sud est «prête à jouer un rôle » dans la crise de la région des Grands Lacs, mais dans la limite de sa « capacité ». Cette déclaration du président Mandela exprime bien la réticence de Pretoria à se placer en première ligne dans la résolution du conflit. L'Afrique du Sud est pourtant de plus en plus sollicitée par ses partenaires africains , mais aussi par les Européens.

Le poids de son économie, comparée à celle des autres pays de la région, et la stature de son président prédisposent l'Afrique du Sud à jouer le rôle de leader régional. Officiellement, le pays se déclare prêt à endosser ce rôle, défini comme un des piliers de sa politique étrangère. Mais jusqu'à présent bien peu d'engagements concrets ont traduit dans les faits cette déclaration d'intention.

Un des premiers actes diplomatiques du nouveau gouvernement, à l'issue des élections multiraciales d'avril 1994, a certes été l'adhésion à l'Organisation de l'unité africaine (OUA). Mais elle n'a jamais cherché à jouer un rôle prépondérant au sein de l'Organisation. De manière générale, l'Afrique du Sud s'accommode des structures de coopération existantes et évite de se mettre en avant dans la résolution des problèmes régionaux. Pretoria ne veut pas alimenter les craintes d'hégémonie que pourraient avoir ses partenaires africains, déjà inquiets de son poids économique et de sa politique commerciale expansionniste. Cette logique s'applique aussi dans sa sphère d'influence directe, la zone australe. LAfrique du

Sud se garde bien, par exemple, de toute intervention directe dans le processus de paix en Angola. Cette prudence diplomatique se traduit aussi par sa réticence à participer aux opérations militaires de maintien de la Paix sur le continent. Le gouvernement de Nelson Mandela a contribué à l'effort humanitaire et logistique au Liberia ou au Rwanda, mais n'a jamais engagé de troupes sur le terrain.

RECONSTRUCTION

Il maintient pour l'instant cette ligne de conduite à l'égard de la nouvelle crise dans la région des Grands Lacs. Face aux pressions l'incitant à s'impliquer directement, l'Afrique du Sud en appelle à la communauté internationale. Celle-ci « doit prendre des mesures urgentes, à travers les Nations unies et les organisations régionales pour restaurer la paix dans la région », déclarait Alfred Nzo, le ministre sud africain des affaires étrangères. Son adjoint, Aziz Pahad, a rappelé, dans le même esprit, que l'Afrique du Sud n'était pas prête à participer à une opération militaire de maintien de la paix. Il a précisé, pour apaiser l'impatience de ses partenaires, qu'elle devait néanmoins « commencer à se préparer à cette éventualité ».

L'armée sud-africaine, fait-on valoir à Pretoria, est en plein processus de restructuration et n'a pas la capacité, à l'heure actuelle, d'effectuer ce genre d'opérations. Confrontée à d'immenses besoins de reconstruction, le pays ne veut pas mener une politique africaine dangereuse et coûteuse. Même s'il s'en défend, il donne la priorité à ses problèmes intérieurs.

Ajoutée à une profonde inexpérience de la réalité du continent, cette logique aboutit à des comportements qui placent l'Afrique du Sud dans des situations diplomatiques particulièrement inconfortables. C'est ainsi que le gouvernement de M. Mandela se trouve actuellement accusé de prendre parti et d'alimenter le conflit pour avoir vendu des armes au Rwanda. Les organisations humanitaires, comme plusieurs gouvernements africains, lui reprochent d'avoir cédé à la logique commerciale, en dehors de toute considération diplomatique.

M. Mandela s'est efforcé dé justifier la décision comme devant permettre au gouvernement rwandais à majorité tutsie de se défendre contre les rebelles hutus basés au Zaire. Or c'est le gouvernement rwandais qui est accusé d'être du côté des agresseurs, en soutenant les TUTSIS de l'est du Zaïre contre les troupes de Kinshasa. Les propres représentants du gouvernement sud-africain au Burundi et au Zaire ont demandé à leur pays de revoir sa décision. Le président kenyan, Daniel Arap Moi, a, lui aussi, suggéré à Nelson Mandela de suspendre le contrat, de même qu'Amnesty International. Devant toutes ces pressions, la commission sud-africaine chargée du contrôle des armes a annoncé qu'elle était prête à annuler le contrat si les Etats de la région, réunis mardi 5 novembre à Nairobi, le lui demandaient. Mais quelle que soit sa décision, la politique étrangère sud-africaine sort d'ores et déjà un peu ternie de cette affaire. 

 

@AGNews 2002