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NAUFRAGE AU BURUNDI


Ligue Belge pour la Défense des Droite de l'Homme.
Section de Louvain.

Septembre 1972

 Ed. resp. G. Beauthier
B. Dejemeppe.


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INTRODUCTION : APPEL A LA CONSCIENCE DU MONDE

CHAPITRE I.

L'EVENEMENT, DES TEMOIGNAGES.

Liquidation aussi parmi les étudiants

De lourdes responsabilités

BURUNDI : les chiffres parlent

Plan  Artémon Simbananiye

CONCLUSION, UNE SUPPLIQUE

 

 

 

 

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INTRODUCTION : APPEL A LA CONSCIENCE DU MONDE   
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On a tué. On a tué tous ceux qui auraient voulu lever la tête on a tué dans les universités, dans les écoles jusqu'au niveau de l'enseignement primaire. On a tué dans l'administration, du Ministre au petit employé.

On ne saura jamais combien. Au moins 150,000 personnes, Hutu pour la plupart. Dans ce pays sans statistiques et sans informations libres, comment pourrait-on savoir ? Qu'importe.

De tels massacres ont déjà eu lieu en territoire décolonisé mais une tentative de naufrage radical par la suppression de l'élite politique, sociale et culturelle d'une ethnie par l'autre, a-t-on vu cela, même au Biafra, même au Bengale 7 Il n'est pas question de prétendre défendre ici le faible contre le fort. "Lorsque les haines tribales se déchaînent, il est rare que les bourreaux se trouvent tous dans un camp, et les victimes exclusivement dans l'autre ( ... ) Il y a pourtant plus qu'une différence de degrés entre ces deux racismes meurtriers (...)" (Ph. Decraene, Le Monde, 2 juin 1972). Peut-être les Hutu vainqueurs auraient-ils annihilé l'élite Tutsi, comme l'écrit Paul Tannenwald dans la Revue Nouvelle, septembre 1972.

Il est hélas vrai qu'en cas de victoire hutu la vengeance risquerait d'être d'autant plus sanglante que les cadres formés seront moins nombreux et que les voies pacifiques auront été étouffées. Qu'on se rappelle les précédents rwandais. Mais que faut-il accuser : ceux que le malheur aveugle ou ceux qui, dominée par la crainte et accrochés à leurs privilèges, n'offrent aux Hutu aucune solution compatible avec leur dignité si ce n'est la violence ?

Quoi qu'il se soit passé, la vérité historique ne procure aucune clé utile au relèvement du pays. Ce qui est sûr, c'est que les Tutsi ont procédé 'à la stérilisation des Hutu et ont anéanti ainsi en quelques jours des années de scolarisation et de formation technique. Et ce, sans inquiéter outre mesure les nations occidentales, mis 'à part la presse belge et partiellement, la
presse française. Il faut croire que l'intérêt humain passe après les préoccupations économiques. N'est-ce-pas à cause du (mieux : grâce au) pétrole du Nigeria qu'on s'intéressa au massacre des Biafrais

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Théâtre d'un génocide pur et simple, le Burundi n'en a pas pour autant perdu son crédit à l' 0.N.U. et dans le concert des Nations. Il compte d'ailleurs parmi ses dirigeants de brillants avocats qui plaidèrent, parfois avec succès, la thèse de la légitime défense. D'une façon générale, les pays occidentaux se sont déclarés impuissants et ont limité leur intervention à des secours humanitaires. L'O.N.U. s'est vue pratiquement désarmée: "il s'agissait d'affaires intérieures".

La Belgique, quant à elle pèse d'un lourd poids dans l'histoire du Burundi. Principale source d'aide extérieure, la coopération belge, avec ses quelques 300 millions de francs, équivaut 'a un peu moins du tiers du budget national burundais. Sous couvert de non-ingérence, elle a toléré et soutenu l'évolution des récentes décades. Dès le mois de juin, notre Ministre des Affaires Étrangères, M. Pierre Harmel, déclarait aux Chambres que les accords seraient révisés. Fin septembre la coopération restait en panne. Quels accords seront-ils décidés ? Va-t-on amender notre aide ? La supprimer ? .La simple justice commande de la poursuivre a l'avantage de la grande masse. Le risque est pourtant grand de n'apercevoir comme bénéficiaires que les responsables du génocide.

Quant aux Droits de l'Homme, oserait-on encore après un tel carnage en demander le respect ? Cette dénonciation doit s'accompagner d'une ébauche d'un programme d'action qui permette 'à ces Droits et, surtout, "a" tout un peuple d'être reconnus et respectes,

Notre analyse procèdera d'un regard sur les faits bruts tels que la presse et les témoins les rapportèrent pour en dégager quelques causes 'a travers l'histoire, ensuite. Nous tenterons alors de déterminer la part des responsabilités intérieures et extérieures pour déboucher sur des perspectives d'avenir d'un État provisoirement sans avenir.

 

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CHAPITRE I.  | Menu

L'EVENEMENT, DES TEMOIGNAGES.


La confusion, sort commun de toute la presse, paraît encore grande près de six mois après le début du massacre. La relation des faits, d'ailleurs, n'est que subsidiaire quand on sait avec certitude le sort réservé à des dizaines de milliers de Hutu habitant le Burundi. Tout au moins éclairent ils notre approche.

On sait aujourd'hui de source sûre et par des témoignages recoupés, que l'ex-roi Ntare V n'a jamais eu l'intention de se rendre au Burundi, même a titre de simple citoyen, après avoir reçu des assurances écrites du président 'Micombero. Fin mars, Ntare V se trouvait en "voyage d'affaires" dans la capitale ugandaise, Kampala. Là, le Général Amin lui tendit un piège en lui demandant de bien vouloir se rendre au siège de la présidence. Les opérations se déroulèrent alors rapidement. Un DC3, avion personnel du Président ugandais, l'emmena pour le livrer 'à Bujumbura. Il resta sursitaire de la mort quelques semaines en résidence surveillée.

Le 26 avril, une assemblé du parti prend des mesures de répression contre ceux qui n'ont pas encore adhéré à la
J.R.R. (Jeunesses révolutionnaires Rwagasore) et demande au Président de la République de décréter une loi instituant la suprématie du parti (Burundi la part des responsabilités, Cahiers du Libre Examen).

Le 28 avril se réunit le Conseil des Ministres. On ne sait trop ce qui s'est précisément décide, mais il semble que l'unanimité ne s'est pas faite quant au sort à réserver a Ntare V. Le tiraillement entre Ministres décida sans doute Michel Micombero à révoquer son Gouvernement.

Le 29 avril le Gouvernement est révoqué. Commence alors le long week-end du 1er mai. Des fêtes sont prévues dans la capitale, elles doivent se tenir en présence de dignitaires du régime.
La vérité restera alors incertaine. Il semble qu'à l'occasion du relâchement disciplinaire dû au traditionnel ler mai, les Hutu ont organisé un soulèvement, même aidés de quelques rebelles et étrangers. En cinq points du Sud du pays, dont la région du BururÎ, terroir des principaux dirigeants du pays,


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se déclenchèrent à l'heure H des tueries. Bujumbura fut aussi atteinte, mais par défaut d'organisation sans doute, trop tôt, au moment ou la fête ne faisait que commencer. La réaction se produisit presque aussitôt, par des militaires mieux entraînés et bien armés. Au massacre déjà sanglant de quelques milliers de Tutsi, débuta le Week-end une répression inouïe. La Radio annonça que le régime venait de déjouer un coup d'Etat des agents impérialistes. Elle se servit de Ntare V, qui venait d'être assassiné, comme d'un bouc émissaire. Elle rapporta que ses partisans avaient lance des attaques pour le délivrer et que les monarchistes voulaient renverser le régime. L'ex-roi serait alors mort dans les combats! Aux bulletins de victoire annonçant un châtiment exemplaire des coupables répondit un peu partout le cri des mitraillettes massacrant coupables et innocents d'abord, innocents vraiment ensuite. Des charniers de plus en plus désolants devinrent le sort de dizaines de milliers de Hutu, éliminés dans des conditions dépassant les limites de notre imagination.

En Belgique, dès le début mai, des témoins relatèrent ce qu'ils avaient-, vu. Leurs témoignages veulent ici montrer brutalement et froidement l'ampleur du drame. L ensemble de la presse est unanime sur la question des faits. Ceux qui ont pu fuir nous ont laisse parfois d'incroyables documents. Il faut les croire. Un génocide sauvage et préparé.

 

Un Européen, le 9 mai, de Bujumbura nous rapportait:

Cela a commencé, bien sûr, cela est vrai, par un génocide méthodique et organisé, à I'exemple de celui qui, au Rwanda, avait fini par donner la suprématie au plus grand nombre. Qu'elle en ait pris l'initiative ou qu'elle ait saisi une occasion "favorable", l 'ethnie, hutu a, indiscutablement, tente de secouer le joug parfois féroce que lui imposait l'ethnie tutsi. Je n'entre pas ici dans, les détails, mais sachez que les premiers massacres, qui ont donné "le signal de tous ces sanglants désordres, ont été atroces et systématiques.

Que dire, maintenant, de l'aveugle répression qui frappe,
depuis huit jours, les Hutu ? Aidés par les "forces"
zaïroises (et il paraît-il, tanzaniennes), les maîtres tutsi se vengent méthodiquement, en ce moment, en arrêtant, malmenant, tuant les Hutu. C'est par milliers d'hommes que se chiffre ce nouveau génocide. Les seuls critères des arrestations et des exécutions sommaires (partout, dans les quartiers, dans les établissements publics, dans les maisons) semblent être la taille et une certaine morphologie (souvent sujette à caution ! ).


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Laissera-ton continuer cette atroce boucherie sans protestations de la part de ceux qui peuvent protester. Faudra-t-il se contenter des quelques communiquée - souvent inexacte du "Monde" et du "Figaro"... sans parler des commentaires, sur le mode ironique, de "France-inter" ?

"Gazet Van Antwerpen" répondait , le 19 mai, clairement quand elle se demandait ce qui se passait

Het antwoord is nu aenvoudig geworden : in Boeroendi is mère bezig met een systematische uitmoording van allé intellektuelen uit de Hoetoe-stam.

"Het Volk", le même jour ramassait le noeud du génocide en deux mots :

Tutsi-militairen vernietigen Hutu-intelligentsia

 

"La Cite" précise, le 18 mai

Liquidation aussi parmi les étudiants| Menu

La "liquidation" va même jusqu'aux étudiante des écoles supérieures et secondaires.

Les universitaires hutu ont été arrêtés ou mis à la porte. Il y a des arrestations parmi les étudiante des collèges où les dénonciateurs sont récompensés.


Il semble que les policiers chargés de la répression procèdent par listes de personnes qui auraient appartenu à des groupes clandestins dont un mouvement de libération. Mais cela n'explique ni n'excuse une répression systématique de cette ampleur.

Fait épouvantable également : les jeunes Tutsi participent à ces massacres. C'est ainsi que des étudiante ont été tuée par certaine autres jeunes et que des prisonniers, parqués à deux cents dans un camion, après avoir été battue sauvagement, ont été achevée à coups de gourdin par des jeunes qui faisaient ta haie devant la prison où on allait les enfermer.

Chaque jour, à Bujumbura, les observateurs voient des camions chargés de prisonniers et d'autres chargée de cadavres dissimulés sous des bâches, qui s'en vont vers des charniers où des bulldozers les recouvrent de terre.


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Quant aux étrangers, nombreux a Bujumbura, et par mi lesquels des assistants belges, des missionnaires, des représentants-de l'O.N.U. (ils y sont à près de 80), ils sont impuissant& à intervenir dans ces événements internes que dirige le colonel Micombero, assisté des deux plus fortes personnalités tutsi du pays. M. Simbananiye, ancien Ministre de la Coopération, qui vient d'être nomme Ministre plénipotentiaire, et A. Shibura, Ministre de la Justice, dont les deux adjoints ont été faits procureurs de la République et A la capitale.

''Le Soir", le 25 mai, rapporte le témoignage (non-suspect) du chanoine Pirard | Menu

Les choses en sont arrivées i un point tel que l'armée procède à !'élimination des hutu non pas pour ce qu'ils ont
pu faire, mais pour ce qu'ils pourraient faire, et spécialement lorsqu'il s'agit de personnes ayant reçu ou en train
de recevoir une éducation. On va chercher des élèves dans les écoles pour les tuer... Les massacres nécessitent des camions pour transporter des corps des suppliciés, et des bulldozers pour les enterrer. Et. répétons-le, ils continuent (...)

''Dans un athénée, après des arrestations officielles, des bagarres éclatèrent entre élèves tutsi et hutu. Quatre Hutu furent blessés, on les emmena vers l'hôpital, mais la police les "liquida" durant le trajet. Dans un hôpital, un médecin russe protesta parce qu'on voulait emmener un blessé dont il recousait la Paie. On le fit sortir, puis on acheva le blessé.

A la maternité de Mutumba, à A km au Sud de Bujumbura, les militaires ont tué et mutité des femmes.

A noter d'ailleurs que, dans certains centres, les révoltés hutu, sous l'influence, croit-on, des éléments mulélistes, ont également brûlé des familles entières dans leurs huttes et tué des hommes, des femmes et des enfants après tee avoir atrocement mutilés.

Mais le témoignage du chanoine Pirard comporte encore d' autres faits, accablants, qui montrent que la répression a égalé ou dépassé en horreur la révolte des Hutu : "J'ai vu des centaines de personnes embarquées dans trois cars. On les a fait passer entre des haies de "jeunesses révolutionnaires Rwagasore" qui les ont battues à coupe de gourdins. On a laissé mourir les victimes de leurs blessures, et des camions les ont ensuite déposées dans des charniers. En un jour, une religieuse a vu passer plus de dix camions chargés chacun de plus de deux cents cadavres"(...).


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Témoin horrifié de ces massacres., le chanoine Pirard n' hésita pas à écrire au Président- Micombero une lettre qui se termine par cette accusation :

"Vous devriez savoir., Monsieur le Président, que lorsqu'un peuple n'a pas le moyen de s'exprimer à travers les institutions d'une république qui n'a ni Constitution ni Parlement, il s'exprime dans la rue ou sur les collines. Alors, qu'avez-vous fait pour porter remède aux causes profondes qui déchirent aujourd'hui le Burundi ? Vous êtes en train de stériliser une race et à travers elle tout un peuple. (Le Soir., 24 mai 1972).


Un coopérant français était le 25 mai à Bujumbura :

"Rien ne va plus a Bujumbura ni au Burundi.., où les passions raciales se sont déchaînées, depuis le début de ce mois, avec une violence inouië. Qu'est-ce qui arrêtera cette effroyable tuerie qui est en passe de devenir t'une des plus cruelles de notre époque ... alors que, presque partout, la presse (et particulièrement la nôtre),reste muette... ? On parie déjà de 100.000 morte ... En faudra-t-il le double ou Le triple pour que l'on s'émeuve en Europe. Bien sur de Bruay-en-Artois est bien plus suceptible d'intéresser Les foules ? Après tout, que ces "nègres" s'entretuent., cela a si peu d'importance ! Après la sanglante boucherie qui "l'a si rudement éprouvé le Biafra n'a-t-il pas survécu ? Mais le Biafra, on en a parlé. C'est plus grand, plus riche, plus "intéressant" que le Burundi !

(...) Par camions entiers on nuit et jour des cadavres. Or arrête tous les "suspects". On les oblige à se dévêtir. On les fait coucher à plat ventre, les mains derrière la nuque. On les cogne à coups de crosse, de bâtons, de pierre. On les torture. Puis on les transperce à la baïonnette. Ces bulldozers font le reste.

Sans parler des innombrables règlements de compte! Dans les écoles, les élèves Tutsi assassinent leurs camarades à coups de pierres, de machettes, de bâtons ...


"Knack" rapporte le 24 mai les consignes du Livre Rouge de l'UPRONA (parti unique burundais). | Menu

Zoals overal in het binnenland de Hutu's langs de limonietwegen, in de uitgebrande dorpen., doodbleden onder de kogels van de politieke repressie of onder de macheles, de kapmessen van de J.R.R., de Jeunesse. Révolutionnaire Rwagosare, de jeugdmilitanten van de Burundese eenheidspartij UPRONA (Parti de l'Unitë et du Progrès National).


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In het Rode Boekje van de Uprona staat te lezen "De Uprona draagt aan de JRR de bijzondere taak op de vitaliteît te handhaven van de Revolutie van 28 november t966. De JRR moet een georganisserde strijd leveren om de interne en externe vijand te ontmoedigen".


Le Journal précise le nombre des victimes:

De Hutu-opatand is mislukt. Maar het cas vijf voor twaalf. En de Tutsi hebben het zeer goed begrepen : de repressie îs meedogenloos en mai nog weken aanslepen. De getukkigsten zijn wellicht nog de12.000 vluchtelingen in Tanzania en de 10.000 in Zaïre.


(Aujourd'hui, il y en a environ 110 000, dont 43 000 au Zaïre).

"La Cité", sur le sujet, le 2 août :

L'exode des Hutu se poursuit actuellement encore vers les pays avoisinant le Burundi : selon les délégués de Caritas et de la Croix-Rouge qui s'occupent de leur accueil ils étaient à la date du 25 Juillet, quelque 10.000 au Zaïre., 2.000 au Rwanda et 60 à 70,000 en Tanzanie.

Ils y arrivent évidemment dans le plus grand dénuement. Certains sont à peine vêtus et épuisés par des journées et surtout des nuits de marche, La plupart ont perdu des membres de leur famille. Des jeunes étudiants du secondaire qui ont échappé au massacre dans leurs collèges, y sont arrivés seuls n'ayant pu mettre leur famille au courant de leur fuite.

"Le Soir" du 27 mai 1972 | Menu

La répression actuelle est à la mesure de l'attaque des rebelles : impitoyable. Tout élément hutu un tant soit peu
intellectuel est arrêté, battu, torturé, voire abattu sur place sans jugement, La radio nationale a annoncé l'exécution de coupables, après un bref jugement militaire ( à Gitega et à Bujumbura), "conformément à la loi".


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Pourtant ... une note de l'Assemblée épiscopale du Burundi indiquait, reprise par "Le Soir" du 17 août 1972 :

Quelques chrétiens ne se sont pas comportés en chrétiens, d'autres ont accompli des gestes magnifiques. C'est ainsi, que des Hutu ont protégé des Tutsi et vice-versa. Des Tutsi n'ont pas dénoncé des voisins venus dans l' intention de îles massacrer. Ces faits et beaucoup d'autres constituent une lueur d'espoir.



Un père dans "Le Figaro", le 29 mai | Menu

J'étais le dimanche 14 mai à Bujumbura. Au début de l'après-midi., sur une place de la ville, des dizaines de J.R.R. attendent. Des camions s'approchent, sur la plate-forme desquels on a des centaines de pauvres diables. On les force à descendre courir entre les deux haies de J.R.R. armés de matraques et de machettes. Les trois quarts d'entre eux vont mourir horriblement blessés sur cette place écrasée de soleil. La foule applaudit à cette tuerie.



Quant aux enfants, rapporte un témoin de "La Libre Belgique", le 29 mai 1972, eux aussi sont entraînés dans la folie du sang:

La façon dont les jeunes gens surtout ont procédé aux arrestations a révélé une cruauté et un sadisme insoupçonnés jusque-là. Ainsi, dans un collège de Bujumbura, on a découvert un garçon de douze ans établissant les listes de dénonciation de ses camarades de classe afin qu'ils scient arrêtée et fusillés.

Pour les jeunes Tutsi en révolte, tous les Hutu sont coupables. Cette chasse à l'homme a été dirigée tout d' abord vers tous ceux qui possédaient une situation due à leurs connaissances ou à leur bagage intellectuel.

Les fonctionnaires, les dirigeants d'entreprise, les responsables, mais aussi les étudiants, les possesseurs de compte dans les caisses d'épargne ou à la poste, les employés d'administration d'origine hutu, mais aussi les ouvriers et de nombreux "boys," ont été arrêtés et exécutés.


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"La Libre Belgique" du 2 juin 1972 publie le récit de 3 journalistes français autorises à se rendre sur place entre autres, ils rapportent :

Des centaines de corps décomposés sont encore La proie des crocodiles et des vautours sur les collines verdoyante du Burundi et sur Les plages du Lac Tanganyika, trente jours après la "révolte des Longs couteaux", Le 29 avril dernier, ont-ils déclaré.

Dans les villes et agglomérations qui bordent Le Lac Tanganyika, depuis Minango, village à environ 50 km au Sud de Bujumbura, jusqu'a l'extrême Sud du Burundi à Nyanza -Lac, dans les collines de La province de Burundi, il ne reste pratiquement plus d'habitante. Beaucoup d'entre eux, d'origine zaïroise, ont fui au Zaïre, Les autres en Tanzanie, ou dans les forêts. Mais tous n'ont pas pu fuir. Des dizaines de milliers sont morts. Tous ne sont pas enterrée et de nombreux cadavres continuent à pourrir au soleil à moine que crocodiles et vautours ne les aient entièrement dépecés".


"L''Express", la 5 juin 1972, dénonce les listes odieuses | Menu

La contagion de l'angoisse

La peur est d'ailleurs plus Lourde et omniprésente que les exécutions sommaires. Les Européens, qui vivent dans le quartier résidentiel de Bujumbura, se terrent et luttent contre ta contagion de l'angoisse. A la tombée de la nuit, dans les quartiers africaine - "le Belge", entassement minable sans électricité, et l'Ocaf, médiocre, mais construit en "dur" - personne ne bouge, chacun guette le bruit de moteur et le grincement de tôles d'un camion. Le camion, c'est déjà un petit charnier ambulant. S'il arrive, s'il s'arrête à une porte, c'est pour permettre à des soldats ou a des miliciens de faire provision de "suspects". Une liste à la main.

La liste. Comment échapper à la liste quand celle-ci constitue un jeu cruel n'obéissant qu'aux réales de la délation, de la vengeance individuelle, souvent du caprice ? Dans un collège de Bujumbura, un élève de 12 ans y inscrivant tranquillement ses camarades de classe. Pour les Tutsi de tout âge, ce délire de meurtre est alimenté, lui aussi, par la pour qu'ils éprouvent, et qu'ils viennent de subir. Les Hutu, surtout dans le Sud du pays, ont, dès le 29 avril, tenté de s'insurger, attaquant des villages à la machette, tuant quelques milliers de "longs". Désormais, tous les Hutu sont coupables, globalement, et d'abord ceux qui ont un degré quelconque d'instruction.


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De lourdes responsabilités| Menu

 

Qu'en est-il de cette insurrection des Hutu, et y a-t-il eu, de leur part, le vaste complot que leur prête M. Michel Micombero,président de la République? Dans les cercles étrangers de Bujumbura, on pense qu'il existait un plan prévoyant la création simultanée.



"La Cité",le 2 août, rappelle à l'opinion endormie :

"Le génocide des Hutu ce poursuit dans le plus pur style hitlérien".

 

 

Le journal suisse "La Liberté" le 17 août 1972 révèle, le bilan provisoire de ce génocide qui encore aujourd'hui tués sans bruits :

BURUNDI : les chiffres parlent | Menu


Devant l'amas de contre-véritée distribué par les représentants officiels du Gouvernement burundais seuls les chiffres dans toute leur tragique sécheresse parlent. Nous en donnons ici une liste qui n'est hélas ! qu 'un aperçu de la réalité.
Université : sur 350 étudiants burundais, 120 environ ont disparu. Soixante sont certainement morts.

Ecole médico-sociale de Kitega : 10 jeunes filles et une religieuse hutu ont été tuées.


Ecole normale supérieure : sur 131 élèves, 58 ont disparu, 24 dont plusieurs Jeunes filles ont certainement tués.

Ecole normale d'administration : sur 130 étudiants, 46 disparus ou tués.

Ecole normale secondaire d'Etat : à la suite d'une querelle provoquée par des étudiants tutsi, 8 morts hutu assassinés par leurs camarades tutsi. Sur 300 étudiants, 70 disparus.

Ecole technique officielle : sur 415 élèves, 170 disparus dont 60 sont sûrement tués.

Athénée de Bujumbura (collège secondaire) : sur 700 élèves, 70 disparus ou morts.

Athénée de_Kitega: sur 380 élèves,164 disparus ou tués. La classe de 6e (de 12 à 14 ans) compte 55 disparus sur 108 élèves.

 


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Institut technique d'agronomie du Burundi : sur 79 élèves, 40 disparus dont 26 tués.

École moyenne pédagogique de Runsengo: 5 professeurs tués ( cette école bénéficie de l'aide technique de la Confédération suisse).

Ecole ETO de Kamenzi : 300 élèves, 155 disparus.

Dans les écoles primaires, 40 a 45 % du corps enseignant est porté disparu donc a été "supprimé".

Dans le collège adventiste de Kivoga, à 12 km de Bujumbura, sur 150 étudiants, 53 ont disparu.

A la date du 24 juillet, 19 prêtres, 5 frères et 2 religieuses tous Hutu avaient été tués.

Quant au clergé protestant hutu il a été éliminé dans la proportion de 60 %. Des collines sont rasées telle celle de la paroisse protestante de Musema où, 2 à 3 Tutsi ayant été tuée, toute la population masculine hutu des enfants aux vieillards a été exterminée, au total 750 personnes environ.


Le "Pourquoi Pas ?" exagère à peine, le 5 juin 1972 | Menu

Selon nos sources, la tuerie aurait fait 200.000 victimes. Et constituerait aboutissement d'un plan conçu par un Ministre au Colonel Micombero, M. Artémon Simbananiye, que l'on retrouve à chaque étape de la répression contre les Hutu.

Un "plan diabolique", échafaudé en juillet 1967, visant à amener les deux ethnies (Tutsi 15% et Hutu 85 %) à égalité. 


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A l'autre côté, des sources sûres apportent la preuve que la répression, elle, n'a pas été improvisée. De longue date déjà un programme d'apartheid existe, affirment les Hutu. Repris et appliqué par l'homme fort du régime, Artémon Simbananiye il comporte trois étapes :

1°) Semer la haine entre les ethnies en noircissant fortement quelques hauts intellectuels Hutu;

2°) Vous faire disparaître physiquement pour plonger le pays dans la confusion et la colère.

3°) Tablant sur les faux bruits déjà en circulation, crier haro sur les Hutu pour la récidive de 1965. Alors il ne restera plus qu'à lancer une répression sanglante sur des cibles choisies d'avance et à se montrer très actif dans l'épuration criminelles pour réclamer le pouvoir comme rançon de son zèle. Après ce coup de balai, l'apartheid règnera au Burundi et le "péril Hutu" sera anéanti à jamais 

(rapport politique 093/100 CAB/68, Bujumbura 1968.)

 

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CONCLUSION, UNE SUPPLIQUE | Menu


Un dossier...

Et si tout cela ne servait a rien ?

Les "affaires" du Congo, du Biafra, du soudan, du Brésil, du Bengale se sont bien consumées lentement à l'abri de dénonciations finalement lassantes.

On tue encore, - discrètement -, au Burundi et déjà les journaux européens se taisent

Une réflexion de plus sur le Burundi, pourquoi faire ?

--- Pour cultiver ce remorde qui hante l'occident de la recolonisation ?

--- Pour essayer de comprendre ceux qui ne se comprennent plus ?

--- Pour prendre position en faveur de l'une ou l'autre partie

Non.

 


Ce dossier de la Ligue Belge pour la Défense des Droits de l'Homme est certes une constatation : pas un seul Droit de l'Homme n'a été respecté. Il est surtout une supplique,

SUPPLIQUE aux Hutu et aux Tutsi que les morts qui les séparent ne tes aveuglent plus de haine, qu'ils les éclairent sur cette poignée de sanguinaires irréversiblement coupée du peuple du Burundi.

SUPPLIQUE aux Hutu et aux Tutsi qui vivent en dehors de leur pays : qu'ils jettent les bases d'un front commun pour mieux combattre l'injustice qui règne dans leur pays.


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SUPPLIQUE à l' Église du Burundi qu'elle sorte de cette ambiguïté, du silence qui la rend suspecte.


SUPPLIQUE à ceux qui au nom de l'aide au développement vont repartir au Burundi dès que le Gouvernement belge aura décidé de rétablir la coopération : que leur aide vienne "aider" et non renforcer ceux qui possèdent.

SUPPLIQUE à la presse : qu'elle continue d'informer., de dénoncer sans cesse. La peur de la Vérité fait reculer les lâches.

SUPPLIQUE aux Belges : qu'ils obtiennent de leur gouvernement une attitude ferme face au gouvernement du Colonel Micombero 

SUPPLIQUE aux hommes : qu'ils n'ignorent pas, une fois de plus, le drame des réfugiés, qu'ils viennent en aide aussi aux étudiants burundais émigrée. Ils devront continuer leurs études sans bourse. (1)

SUPPLIQUE aux organisations internationales : qu' elles rappellent au Colonel Micombero la Convention Internationale pour la prévention et la répression du génocide que le parlement du Burundi a ratifiée le 26 juin 1964.

SUPPLIQUE l' Espoir: que dans un monde où l'on écrase des nations entières ta défense des Droits de l'Homme ne devienne pas une utopie.

Le 28 septembre 1972 

(1) C.C.P. 7389.61. de la Ligue Belge pour la Défense des Droits de l'Homme, 1, avenue de la Toison d'Or - 1060 Bruxelles avec comme mention "Etudiants Barundais en détresse".

 

 

 

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